Madame la Ministre,

La création de nouveaux établissements est en cours dans le cadre de l’ordonnance du 12 décembre2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Il nous semble important que cette création, résolument tournée vers l’avenir de l’enseignement supérieur, soit en phase avec les évolutions sociétales et notamment avec l’importance accordée aujourd’hui à l’égalité entre les femmes et les hommes, annoncée par le président de la République comme une priorité du quinquennat.

Les statuts de ces nouveaux établissements, qui doivent être publiés au Journal officiel, sont des textes importants et symboliques, qui doivent refléter cette exigence d’égalité entre les femmes et les hommes. Malheureusement, à ce jour, le département de la réglementation du MESRI refuse l’utilisation dans ces statuts de mentions comme « le président ou la présidente », « le directeur ou la directrice ». L’argument avancé est le suivant : « conformément à la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, le masculin est une forme neutre qu’il convient d’utiliser dans les textes réglementaires pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes. »

Il nous semble important de rappeler que cet argument entre en opposition avec ceux du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (Guide pratique pour une communication publique sans stéréotypes de sexe, 2015, 2016), ainsi qu’avec les recommandations européennes du Comité des Ministres aux Etats membres (sur l’élimination du sexisme dans la langue – 21 février 1990 ; sur la prévention et la lutte contre le sexisme – 27 mars 2019). L’Académie française elle-même, dans son rapport du 28 février 2019, estime que « comme dans le cas des noms de métiers, la langue doit transcrire fidèlement l’exercice par les femmes des fonctions et des charges auxquelles pendant longtemps elles n’ont pas eu accès ». Dans la circulaire du 21 novembre 2017, le Premier ministre souscrit à cette recommandation s’agissant des avis de vacance de poste ou des actes de recrutement, ce qui rend peu lisible son refus pour des statuts d’établissement. L’interprétation du département de la réglementation du MESRI ne semble d’ailleurs pas partagée par tous les ministères, comme en témoigne la rédaction du décret n° 2019-134 du 26 février 2019 relatif à la composition et au fonctionnement du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, cette réponse entre en contradiction avec les évolutions profondes des politiques publiques ces dernières années. Que ce soit la loi de transformation de la fonction publique, ou la démarche de labellisation « égalité professionnelle » engagée par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la dynamique lancée appelle des actions pour faciliter l’accès des femmes aux postes à responsabilités. Or les recherches ont montré que l’invisibilité des femmes, y compris à travers le langage, est un frein réel à cet égal accès. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de par leur mission de transmission et d’élaboration du savoir, ont une responsabilité particulière dans la progression vers l’égalité.

Pour toutes ces raisons, il serait vivement souhaitable d’autoriser et même encourager tous les établissements – y compris ceux régis par l’ordonnance du 12 décembre 2018 – à utiliser des formules comme « le président ou la  présidente » et « le directeur ou la directrice » dans leurs statuts. Nous comptons sur votre soutien dans cette démarche.

Cordialement,

Rozenn Texier-Picard, Présidente de la CPED